PAYSages – Galerie Agama – Marseille
« Alors que le paysage peut être perçu comme un décor naturel ou une catégorie esthétique allant de soi, Diana Righini se demande comment se construit ce type d’image, quelles techniques et quels présupposés déterminent sa réalisation. A travers des séries de collages, de dessins, de sérigraphies et de travaux sur tissu, Diana Righini montre de quelle façon le paysage forge notre vision de la nature, des villes et des nations. En somme, comment nous esquissons le portrait de nous-mêmes, de notre histoire et de nos conditions d’existence à travers ce genre de représentation.
Les Tableaux de bord déjouent la construction traditionnelle du paysage, qui obéit depuis la Renaissance aux principes de la perspective (chambre noire) et définit l’art comme une fenêtre sur le monde. Ici, Diana Righini rassemble sur de grands panneaux des éléments hétérogènes : images, croquis, dessins, photos, coupures d’articles, affiches, bribes… Elle établit ainsi des analogies visuelles, formelles et matérielles entre différents langages plastiques.
Ces œuvres apparaissent surtout comme un procédé de recherche et de réflexion, où l’on perçoit la pensée de l’artiste en mouvement, en train de créer des connexions et des rapprochements entre divers concepts et divers fragments pour produire une image signifiante du monde. Paysages mentaux, parcours géographiques, champs d’expérimentations, agencements d’éléments repositionnables : ces panneaux dessinent les traits d’une société urbaine en crise, en perpétuel chantier, en pleine mutation, et s’interrogent sur notre capacité à décrypter les significations souterraines que véhicule toute image.
Diana Righini reproduit également à grande échelle des timbres provenant de la France coloniale, de l’Allemagne de l’Est ou de l’ex-Yougoslavie. Ceux-ci dévoilent un paysage idéal, un patrimoine culturel, c’est-à-dire l’image qu’une nation souhaite donner d’elle-même et relayer vers l’extérieur.
Emblèmes, symboles ou clichés, panoramas, architectures, innovations ou richesses, les éléments visuels que l’on retrouve sur Les Timbres sont là pour vanter l’identité d’un pays, promouvoir ce qui le singularise, et infléchir l’appréhension que l’on en a en tant que spectateur ou étranger. Pourtant, la signification de ces symboles peut changer au fil de l’histoire, avec, par exemple, le redécoupage des frontières et l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, ou la « grandeur » du passé colonial français, désormais quasiment invisible dans notre société.
Les sérigraphies des Décharges viennent contrebalancer les visions idéalisées des paysages timbrés. Plutôt que de louer la beauté naturelle, l’histoire, les vestiges, l’art et la culture de l’Italie, qui concentre 70 % du patrimoine classé à l’Unesco, Diana Righini nous met face à la réalité de l’enfouissement souterrain de nos déchets et des ruines que nous produisons aujourd’hui. Ainsi, les collages de l’artiste recyclent les résidus de la société de consommation, dont la surproduction, l’abondance et le gaspillage effarant défigurent l’espace.
L’installation in situ présentée dans la vitrine de la galerie, grand drapé intitulé La Fête des galères, est aussi un assemblage d’images cousues en patchwork. Inspirée de l’histoire de l’ancien Arsenal de Marseille, où les galériens venaient ramer pour purger leur peine, La Fête des galères est aussi un clin d’œil à la situation politique, sociale et économique morose que nous connaissons actuellement. Rappelant les anciennes gravures des XVIIe et XVIIIe siècles, les images cousues, qui représentent a priori une fête avec ses palmiers bleus et ses couleurs brillantes, évoquent en réalité les instances d’un pouvoir politique brutal qui rend esclave le monde. »
François Salmeron
Critique d’art et enseignant à l’Université Paris 8